|
Autisme et compétence linguistique
(Christiane RIBONI Docteur en Linguistique)
La question de l'autisme, les tentatives d'analyse de cette pathologie, constituent un enjeu dont l'importance est attestée par les nombreuses publications consacrées à ce problème. Une des difficultés porte sur l'identification de l'autisme, et les rapports définis entre les concepts d'autisme et de psychose infantile. La question de l'étiologie est liée à la définition possible de l'autisme comme handicap ; nous renvoyons à l'analyse de J. Hochmann sur ces points controversés.
Un autre type de problème est soulevé par la caractérisation des troubles spécifiques de l'autisme. La définition clinique, admise généralement depuis Kanner, s'appuie sur le trouble relationnel (Kanner, 1943), mais la dimension étiologique tend à faire appel au domaine du cognitif, sans toutefois que soient clairement explicitées les limites de ces deux registres. L'autisme entraîne des troubles dans le processus perceptif, dans la pensée logique et dans les comportements langagiers , objets de la recherche cognitive.
C'est à ce dernier aspect que nous nous intéressons, pour mettre en relation les aspects fondamentaux de la compétence linguistique avec l'intentionnalité, dont la défaillance est considérée comme typique de l'autisme dans les recherches cognitives qui ont été consacrées à cette pathologie.
L'intentionnalité est "le fait d'être-à-propos-de quelque chose". La communication humaine a pour caractéristique d'être intentionnelle:
La question de l'autisme en tant que trouble grave de la fonction de communication, interroge les modèles de définition de la communication et de l'intentionnalité. Une des thèses significatives dans ce champ est celle défendue par U. Frith , posant que les enfants autistes n'attribuent pas d'états mentaux à autrui ; les individus "autistiques" "ne s'efforceraient pas de trouver une interprétation psychologique au comportement des gens" , comportement normalement assuré "par une théorie de l'esprit". Autrement dit, ce que les autistes "n'arrivent pas à prédire, ce sont les comportements motivés par des états mentaux". Dans cette logique, U. Frith propose comme mode de relation avec les autistes une stratégie qui conforte ce type de communication:
Il serait bon d'adopter avec eux un mode de communication littéral et behavioriste, à la fois comme auditeur et comme locuteur.(1992)
Nous estimons que la question est très loin d'être aussi tranchée, et l'analyse d'entretiens menés avec des patients autistes montre que le manque en théorie de l'esprit n'est pas patent, au contraire même dans certains cas. Nous nous sommes fixé pour objectif de recherche de tenter de comprendre de quel type est la compétence linguistique de la personne autiste.
1. L'analyse de corpus conduit à admettre que certains patients autistes disposent d'une compétence linguistique, qui atteste d’une stratégie relevant de l’intentionnalité, mais cette compétence exhibe des failles remarquables : en effet, l'usage des pronoms est constamment perturbé et, de manière générale, on peut dire que les productions langagières étudiées ici manifestent une utilisation du langage plus marquée sur le versant représentationnel que communicationnel..
Ces questions sur la spécification de la compétence linguistique rejoignent les interrogations dont attestent les travaux de Leslie et Happé, ou encore Gérard sur l'articulation entre compétence linguistique et compétence pragmatique. Dans ce registre, il serait opportun de vérifier si la compétence dont font preuve les autistes est une compétence "littérale" du langage, en lien avec un maniement informationnel des productions langagières, ou si les/des autistes sont susceptibles d'une réelle capacité communicationnelle, capacité dont un test serait la compréhension de l'ironie et de la métaphore (cf. Happé1993).
2. Si on se réfère aux recherches actuelles sur ce thème du langage en lien avec la théorie de l’esprit, en particulier celles de Tager-Flusberg, on retrouve dans l ‘analyse de l’entretien un point souligné par Tager-Flusberg (1997), à savoir le manque d’explication causale dans les énoncés des enfants autistes, et leur défaillance marquée à maîtriser un cadre causal explicatif
C. Riboni
Docteur en linguistique