Autisme et Psychanalyse

 

(Stoïan STOIANOFF NENOFF Psychanalyste)

 

L'autisme est une affection de l'enfant dont la prise en charge a donné lieu en France à une législation particulière destinée à donner satisfaction aux familles des autistes.

Voici en quels termes, lors du débat à l'Assemblée Nationale le 22.02.1996, le rapporteur situe le problème, sur la base de ce que l'on compterait en France entre 17400 à 43400 autistes :

" L'autisme a été décrit une première fois en 1947 par Léo Kanner, psychiatre américain.

Depuis, trois théories sur l'origine de l'autisme coexistent, au nom desquelles s'affrontent les tenants d'une prise en charge entièrement thérapeutique ou basée sur le tout pédagogique.

Selon la théorie psychanalytique, l'autisme serait dû à une 'dysharmonie' survenue très tôt dans la relation entre la mère et l'enfant, le syndrome autistique se développant en réponse à ce dysfonctionnement. Il n'existe aucune étude épidémiologique permettant d'étayer cette théorie ".

Les deux autres théories étant :

La théorie cognitive, au sein de laquelle se trouve privilégié le programme TEACCH élaboré aux USA par Schopler,

La théorie organique qui "repose sur l'hypothèse que les facteurs génétiques, neurobiologiques, liés à un dysfonctionnement du cerveau ou à la grossesse, pourraient être à l'origine du syndrome autistique ".

Dans la classification dite du DSM IV, en usage chez les psychiatres, le "trouble autistique " est situé parmi les "troubles envahissants du développement ", à côté du syndrome de Rett et du syndrome d'Asperger, cités ici pour mémoire.

Ce trouble autistique est analysé selon trois paramètres. On décrit ainsi :

1° une altération qualitative des relations sociales ;

2° une altération qualitative de la communication, avec notamment "retard ou absence totale du langage parlé " ;

3° le caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités.

De toute manière le diagnostic est à faire de manière précoce (avant l'âge de trois ans) dès lors que l'on observe chez l'enfant un retard ou un caractère anormal de son fonctionnement.

Il s'agit d'une affection grave qui nécessite la prise en charge totale et définitive du sujet qui en est porteur.

L'autisme est aujourd'hui, dans notre société occidentale, un handicap qui concerne non seulement l'intéressé mais aussi ses proches, en limitant nécessairement le champ de leur activité et en générant chez eux diverses formes de culpabilité, tant consciente qu'inconsciente.

L'incertitude quant à l'origine de ces troubles de la relation à autrui désoriente les parents qui s'accrochent aux solutions de prise en charge à la fois les plus globales et les moins coûteuses. Or, toutes les méthodes mises en œuvre jusqu'à présent, visant à aider l'autiste à sortir de son enfermement et donc à gagner sa confiance, demandent du temps, beaucoup de temps, énormément de temps. D'autant que l'autiste est souvent polyhandicapé et qu'il cumule des déficits sensoriels, notamment dans le domaine de la vision ou de l'audition. Au taux où est la main-d’œuvre à l'époque des 35 heures hebdomadaires, le coût social de l'autisme est hors de prix.

L'approche psychanalytique du problème de l'autisme relève d'un combat, d'un combat d'idées d'abord, combat sur le terrain de la santé mentale ensuite. Tout en admettant la fragilité constitutionnelle du futur autiste, le point de vue psychanalytique récuse l'approche déficitaire du problème posé par l'autiste. Le déficit, c'est dire, par exemple, de l'autiste, qu'il lui manque une case. Une case : ça peut être une compétence. On dira ainsi qu'il lui manque la capacité de planifier l'action. Par conséquent le déficit devra être comblé par une sorte de prothèse, sous la forme d'une stimulation externe (pédagogique, médicamenteuse, voire neurobiologique).

Tout au contraire, certaines écoles psychanalytiques (notamment d'inspiration lacanienne), pensent que ce qui manque à l'autiste c'est le manque lui-même, qui meut l'humain en tant qu'habité par la parole.

Ainsi le manque, comme la parole, est ce qui se transmet, et c'est là qu'on s'interroge sur ce qui a pu bloquer sa transmission.

C'est faire ainsi de l'enfant-autiste en puissance, l'enjeu d'un conflit de discours. Conflit qui se localise d'abord chez au-moins un des parents de l'enfant. Conflit, par exemple, entre l'idée que le manque chez l'humain (du fait qu'il est sujet de la parole) est le ressort de toute créativité, et celle, inverse, que ce manque est un fléau à combattre comme tel. Il suffit d'une incursion dans le domaine de la philosophie ou de la religion pour repérer ceux qui ne voient dans le logos, dans la parole, qu'un facteur d'illusion, d'irrationalité, à éliminer. Il est vrai que la parole produit des effets sur le vivant, non point à titre de superstructure, au titre d'artefact, mais au titre de la matérialité du signifiant. En effet, le corps, en tant que sonorisable, est lieu à la fois de production et d'inscription de signifiants, d'entités sonores, codées différemment pour chaque langue donnée. Une batterie minimale de ces signifiants, disons une chaîne signifiante, s'articule de manière à fonctionner comme une mémoire inconsciente, censée engrammer une série d'événements constituants de l'histoire d'un sujet. Mais le jeu d'une telle chaîne signifiante, structurée comme un langage, suppose la faculté de déplacement et de substitution des signifiants et donc la virtualité d'une case vide, qui "affectera " la chaîne. Qui l'affectera au sens où, à la place d'un individu, monolithique comme tel, viendra un sujet divisé, à la fois parlant et parlé. Cette mutation tient du miracle, et les thérapeutes qui s'y sont risqués font figure de magiciens.

Notons que les études récentes, sur le plan physiologique, s'agissant de la stabilité du regard que l'on porte sur l'objet, montrent que ce dernier n'existe pour l'autiste que lorsqu'il est en mouvement. C'est le cas de la toupie, qui le fascine. Chez le sujet normal la stabilité du regard est assurée par un système de régulation de type "chaotique " et apériodique. Un nœud de langage peut parfaitement constituer un tel système régulateur. Or, d'autres études mettent l'accent sur la précocité de l'entrée du nourrisson dans le langage, et c'est ainsi que, dès le premier mois de son existence, le babil d'un enfant est de nature à trahir son appartenance à tel ou tel groupe linguistique.

Il nous reste à voir, sur le plan psychanalytique, comment les choses pourraient être modifiées, une fois admis que c'est la "haine " de la case vide qui, dans un milieu humain donné, fait exister l'autiste. Dans la perspective la plus large, il conviendrait d'élaborer une stratégie susceptible d'agir sur le système des discours qui régule l'avenir même du vivant.

Ceci est du ressort des relations de la psychanalyse au politique. A une échelle moindre, il y a lieu de prendre en compte la tactique des personnes inspirées par la pensée psychanalytique, lors des expériences menées dans le passé.

Qu'il s'agisse de Mélanie KLEIN, de Bruno BETTELHEIM, de Françoise DOLTO, ou de Maud MANNONI, on a affaire à des entreprises artisanales, à forme associative, bénéficiant d'une implication totale de leurs promoteurs ainsi que de l'aide d'un nombre considérable d'intervenants, pour la plupart à titre bénévole. D'autant plus, que l'évolution positive de l'enfant dépendait de la bonne volonté de leurs parents, pris en charge simultanément par les équipes soignantes. Or un tel consensus, sur la nécessité d'une prise en charge familiale, est rarement réalisé.

Toutes choses incompatibles aujourd'hui avec une demande thérapeutique de masse. D'où l'accent mis sur la prévention dans le champ de la petite enfance. Faute de savoir comment réintégrer en son sein les individus qu'elle a "vocation " à exclure (au nom de l'idéologie de ladite "haine " de la case vide), la communauté fait appel à ceux qui s'imaginent être en mesure de suppléer aux "carences " du milieu, et créer, à la limite, dès la naissance de l'enfant, voire avant, un contexte pédagogique substitutif adéquat. Encore leur faudrait-il écarter les fantômes de l'hérédité pathologique. Mes vieux "maîtres " en neurologie ne disaient-ils pas qu'ils étaient capables de repérer le futur autiste simplement au vu des difficultés qu'un nourrisson rencontre, ne serait-ce que pour téter ?

L'hypothèse de l'origine neurobiologique de l'autisme obère l'appréciation des résultats obtenus par les différentes méthodes (psychanalytiques ou cognitives) mises en jeu. On dira, par exemple, face à un "autiste guéri ", qu'il y a eu forcément erreur de diagnostic. D'où le terme employé alors de "faux autisme ". Dès lors que les choses prennent une telle ampleur il faut une véritable volonté politique afin de réaliser l'étude épidémiologique correcte qui s'impose, puisque à l'évidence le nombre des autistes en France varie du simple au double selon les critères retenus. Il reste que l'hypothèse, généralement admise, d'une origine plurifactorielle de l'autisme n'est qu'un alibi pour ne rien tenter.

En attendant les résultats d'études linguistiques à venir, notamment sur le mode d'adresse très particulier envers l'enfant que pratiquent, très tôt, les proches du futur autiste, il convient de se méfier de leurs manifestations de bonne volonté débordante. Les faits de maltraitance quasi-physique (consciente ou inconsciente) que révèlent les études récentes relatives au syndrome de Münschhausen par procuration sont là pour nous tenir en éveil. Sachant les difficultés spécifiques rencontrées quant à l'établissement du diagnostic dans ce syndrome, on doit pouvoir imaginer ce que serait une maltraitance qui serait essentiellement d'ordre psychique. Reste à savoir quelles sont les méthodes d'évaluation épidémiologique qui conviendraient à l'étude d'une telle causalité, a priori inimaginable.

Bref, il y a des enfermements pires que le Goulag et c'est devant de tels cas que notre compassion défaille. De sorte que, faute de preuves, les politiques préfèrent fermer les yeux sur le fait qu'il y ait des discours qui tuent, ou du moins vous transforment en statue de sel. Le " principe d'imprécaution " couvre pour l'instant leur responsabilité. Pour combien de temps encore ?