LE
CODE PICTOGRAPHIQUE
(Michel LEVIN, Ingénieur CNRS)
L'élaboration d'un code pictographique pose un problème de fond : deux tendances peuvent en effet s'affronter.
La
première tendance consiste à faire constituer le code pictographique
par, avec et pour un groupe. De ce fait, il est bien connu de chacun de ses
membres. Mais on est loin d'une communication pictographique à l'échelon
d'un établissement. Que dire de son utilisation à l'extérieur?
Cette voie, bien que très intéressante par son côté
participatif, paraît très limitée voire inutilisable.
En effet, nous devons don admettre l'utilisation croissante de cette forme de
communication pour nous même. Les nombreux messages exprimés sous
cette forme envahissent notre environnement dans les lieux publics, les magasins,
les ateliers et même les tâches ménagères et rendent
cette communication universelle.S'engager dans cette tendance ne peut que renforcer
l'isolement d'une population utilisant un cadre différent et ce n'est
pas le but en ce qui concerne les personne handicapées.
La
seconde tendance consiste à utiliser un code imposé de l'extérieur
que les personnes handicapées doivent accepter et assimiler. Cette voie,
bien que moins riche pédagogiquement, autorise un emploi plus général.
Cette deuxième solution paraît plud raisonnable. De plus, l'adaptation
au public handicapé d'un code générique par des modifications
légères prenant en compte sa spécificité peut être
une orientation pertinente.
On voit ainsi, sans rentrer pour l'instant dans le détails d'un tel code,
qu'un tel système peut être un moyen de participer plus activement
à la vie du monde qui les entoure, et de ce fait un instrument important
d'intégration des handicapés. En revanche, nous sommes nous même
confrontés à une forêt de pictogrammes. Et pour nous même
nous avons quelquefois des difficultés de compréhension. On touche
là une première limite à l'utilisation d'un tel code pictographique
: celle d'une forme d'analphabétisation liée, à l'écriture
pictographique.
Notre problème est donc de bien préciser les caractéristiques
d'une telle écriture.
La
première caractéristique importante d'ue telle écriture,
c'est son caractère fonctionnel.
A l'inverse d'une image picturaliste, artistique, l'image fonctionnelle est
créer pour occuper une fonction bien déterminée. Pour cela,
elle doit répondre à trois critères :
- le rapport entre l'émetteur et le recepteur : il faut penser aux destinataires
de l'image
- le langage utilisé par l'émetteur : nécessité
de s'exprimer dans le langage des récepteurs.
- le rapport entre la valeur esthétique et la valeur sémantique
: nous devons toujours donner la priorité à la valeur sémantique.
Deuxième
caractéristique : la cohérence du code.
Les pictogrammes appartenant à un même champ sémantique
seront exprimés à partir d'une même idée. Il en est
ainsi pour les métiers, les notions de lieux, de temps, les comparaisons,
etc.
Autre
caractéristique : on ne dit pas "le pictogramme est un langage".
Ni un texte, ni une image ne peut être un langage en soi. C'est la lecture
de l'écriture qui transforme l'écriture en langage. C'est donc
du langage des pictogrammes qu'il faut parler.
Une des façons d'étudier ce langage c'est d'établir un
parallèle avec l'écriture alphabétique et de considérer
les différences entre les deux écritures.
- Dans l'écriture alphabétique, on écrit avec des mots.
En image, on écrit avec des éléments, des composants :
ce n'est plus analogique. Il existe trois types d'éléments : le
vivant, le mobile et le fixe. C'est très important de repérer
l'élément qui contient l'essentiel de l'information. Si c'est
le composant fixe, nous devons, dans la mesure du possible éliminer la
présence d'un élément vivant ou mobile.
- Quand on lit un texte, nos yeux font des mouvements saccadés et, pour
le français, ils vont de gauche à droite pour lire une ligne.
Peut-on établir une règle pour définir le mouvement des
yeux quand on lit une image ?
Beaucoup d'études et de recherches ont été menées
sur ce sujet. Tout le problème de la polysémie de l'image surgit
à cause des trois temps de la lecture. La lecture de l'écriture
alphabétique, du texte, est une seule action optique et mentale simultanée.
Nous lisons un mot après l'autre, nous donnons à chaque mot son
sens et enfin on a le sens de la phrase.
La lecture de l'image se décompose toujours en trois phases :
Phase 1 : C'est la perception optique, physique. C'est une phase très rapide. Nos yeux réagissent sur les lignes, les couleurs, les tonalités, la lumière.
Phase 2 : C'est l'identification optique et mentale simultanée. Nous identifions la signification de chaque élément et nous identifions le sujet de l'image. C'est la phrase qui ressemble le plus à la lecture d'un texte.
Phase
3 : L'interprétation purement mentale. C'est là que surgissent
beaucoup de problèmes que nous devons essayer de résoudre quand
nous utilisons l'image comme moyen de communication.
On perçoit la même chose, on identifie la même chose, mais
il y a une interprétation différente.
C'est cette différence dans la lecture qui rend impossible dans la communication
iconique tout apport venant de la linguistique et de la composition du sens
dans l'écrit.
-Role de la couleur : la couleur n'a en général aucun effet sur le contenu de l'information.
-Avantages
de la communication par l'image :
La rapidité de lecture : une image se "lit" en deux secondes,
bien moins que le temps nécessaire pour lire un texte. Mais nous ne voyons
que ce que nous avons repéré par les canaux de lecture.
La densité sémantique de l'écriture de l'image : avec l'écriture
iconographique, nous pouvons donner une quantité d'informations sur un
tout petit espace. La description en écriture alphabétique de
tout ce que l'on voit demanderait 3 voire 5 ou 10 fois plus de temps.
Le pouvoir de mémorisation : On se souvient mieux et plus longtemps de
quelque chose que l'on a lu.
Le pouvoir de sensibilisation : Peu d'effet sur la spécificité
pictographique.
-Bien
entendu l'écriture iconique n'a pas que des avantages, on pourrait dire
qu'elle a des inconvénients :
Le réalisme agressif ou réducteur de l'écriture
Le caractère polysémique : la même image peut dire des choses
différentes. Tout le problème de polysémie surgit à
cause de trois phrases de la lecture :
*Dans la phase de perception : un trop grand nombre d'éléments
donne une image trop riche en canaux de lecture.
*Dans la phase d'identification : problème d'anaphalbétisme
*Dans la phase d'interprétation : liée à chaque individu,
à sa culture...
Le rôle du cadrage : Le cadrage a une influence sur le décrit.
Le contexte, le "décor", peut bien souvent permettre une dénotation
plus précise ou alors il entraîne une connotation bien souvent
non maîtrisée.
La non universalité : on a déjà dit que l'image n'est pas
un langage. Certains poussent l'erreur en parlant de langage universel. De tous
les moyens c'est l'image qui est la moins universelle
Le décrit et le suggéré : dans chaque image il y a le décrit
et le suggéré. Il y a la dénotation et la connotation.
Si on fait le bilan pour les images de la communication, dans 50% des cas l'essentiel
est actuellement le suggéré. Le décrit ne sert que de support
pour provoquer chez le lecteur telle ou telle réaction intellectuelle
ou émotionnelle. On comprend ainsi mieux la difficulté d'exprimer
des sentiments par les pictogrammes.
Le taux iconocité du sujet.
L'utilisation
des pictogrammes se révèle fructueuse chez la plupart des personnes
handicapées mentales. Il faut noter qu'il ne s'agit que d'un moyen et
non d'une fin en soi.
Par contre une utilisation étendue de cette technique est très
profitable pour l'insertion de la personne handicapée dans le monde moderne.
Cette technique peut viser plusieurs objectifs permettant l'insertion, l'accessibilité et la formation des handicapés.
Un support à l'insertion professionnelle : on dira même que c'est la plus facile pour l'écriture pictographique. En effet une série de 5 à 7 pictogrammes maximum permet de donner une consigne claire qui pourra être utilisée en soutien à la mémoire. Encore faut il que ces éléments pictographiques soient cohérents avec les autres utilisations permettant au handicapé d'assumer sa vie.
Un support à l'insertion sociale : C'est certainement la plus importante pour le devenir de la personne handicapée. L'environnement pictographique actuel devient le monde du handicapé. Sa capacité à décoder ce genre de message fait incontestablement partie d'une autonomie sociale réussie.
Un support du langage oral : Cette technique permet de minorer l'effort de concentration et de mémorisation que requiert le langage oral. On peut même envisager le cas où le code remplace purement et simplement le langage. A une seule condition : que le code soit intégré dans un réel outil de communication avec une appropriation en terme de technique et de contenu.
Une introduction à a lecture alphabétique : Dans ce cas il faut tenir compte des différences fondamentales entre les deux écritures et ne pas vouloir en faire un outil universel d'apprentissage à la lecture alphabétique.
En
conclusion, on peut dire que si la personne est frappée d'un handicap
mental qui réduit gravement ses possibilités intellectuelles,
ou que son appareil phonatoire soit utilisable ou que des troubles psychologiques
graves détournent son besoin de communiquer par les voies ordinaires,
il trouvera sans cette technique un moyen de participer plus efficacement à
la vie du monde qui l'entoure, d'assurer son insertion sociale et professionnelle,
bref de rentrer dans un monde qui l'acceptera d'autant mieux.